Le «Ready-made»

Trails

Dans le domaine de l'art, le terme anglais ready-made1 fut utilisé pour la première fois par Marcel Duchamp, en janvier 19162, lors de son premier séjour à New York, pour désigner certaines de ses œuvres, réalisées depuis 1913. Cette année-là, Duchamp fixa sur un tabouret de cuisine une Roue de bicyclette, en même temps que, dans ses Notes, il exprimait ses doutes envers l'exercice de l'art au sens habituel du terme (« Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas "d'art" ? »3). En 1914, à Paris, Duchamp acheta un porte-bouteilles qu'il se contenta de signer. Cet objet est généralement considéré comme le premier véritable ready-made (Roue de bicyclette étant plutôt un assemblage).

Comme nous le verrons, les ready-mades soulèvent de très nombreuses questions. Par exemple, parce qu'ils n'ont pas été réalisés par l'artiste, ils rendent problématique un certain nombre de concepts, voire de certitudes, concernant la définition de l'art et le rôle de l'artiste, et plus spécifiquement les notions d'original, de savoir-faire, de virtuosité et d'œuvre.

À partir de la fin des années 1950, certaines implications et interprétations des ready-mades ont donné une impulsion décisive à une grande partie des pratiques artistiques actuelles, qu'elles s'en réclament (comme l'art conceptuel) ou, au contraire, pour s'en défendre.

L'idée du ready-made est évidemment la principale contribution de Marcel Duchamp à l'art du xxe siècle. Il en était d'ailleurs conscient, déclarant dans un entretien en 1962 : « Je ne suis pas du tout sûr que le concept de ready-made ne soit pas vraiment l'idée la plus importante qui ressorte de mon œuvre. »4

Places

D'une manière extrêmement générale, on peut définir les ready-mades comme des objets manufacturés, qu'un artiste s'approprie tels quels, en les privant de leur fonction utilitaire. Il leur ajoute un titre, une date, éventuellement une inscription et opère sur eux une manipulation en général sommaire (retournement, suspension, fixation au sol ou au mur, etc.), avant de les présenter dans un lieu culturel où le statut d'œuvre d'art peut leur être conféré.

Marcel Duchamp a insisté sur l'impossibilité pour lui de donner une définition ready-made. On peut trouver, dans un entretien de 1961, cette déclaration : « Un ready-made est une œuvre sans artiste pour la réaliser5. »

En 1929, dans son Dictionnaire abrégé du SurréalismeAndré Breton fut le premier à donner une définition du ready-made : « Objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste »6. Dans un texte ultérieur, Crise de l'objet (1936), il le définit ainsi : « Action de le [l'objet] détourner de ses fins en lui accolant un nouveau nom et en le signant, qui entraîne la requalification par le choix ("ready made" de Marcel Duchamp) »7.

Marcel Duchamp (puis Arturo Schwarz8) ont défini plusieurs sortes de ready-mades : ready-mades « aidés » (« par l'ajout d'un détail graphique de présentation »9), ready-mades « assistés », ready-mades « rectifiés » et même un ready-made « réciproque » : « Se servir d'un Rembrandt comme table à repasser. »10

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